Si l’on regardait son synopsis d’un œil distrait, Tales from the Loop ressemblerait à n’importe quelle autre série de science-fiction un petit peu facile. Mais c’est tout l’intérêt de la création de Nathaniel Halpern pour Prime Video : ça ressemble à de la SF facile, mais c’est tout sauf cela. Certes, l’univers imaginé repose sur des mécanismes bien connus des amateurs du genre, à base d’univers parallèles, de voyage temporel ou encore de robots, mais ne vous arrêtez pas à ces similarités. Tales from the Loop est d’une originalité assez incroyable par son traitement de ces sujets classiques et surtout par sa volonté à contre-courant de ne jamais rien expliquer. Si vous appréciez de vous laisser guider sans avoir absolument toutes les explications, vous serez séduit par la poésie et la beauté de cette série de science-fiction.
Comme son titre le laisse entendre, Tales from the Loop ne se contente pas de raconter une histoire linéaire du début à la fin. Chacun des huit épisodes qui composent la première saison suit plutôt une histoire indépendante et il traite ce faisant un sujet différent de la science-fiction. À cet égard, la création de Prime Vidéo fonctionne un petit peu comme une anthologie, à tel point que l’on peut la comparer à Black Mirror. Pour autant, l’analogie tombe vite, tant les deux séries suivent des pistes radicalement opposées, sur le fond comme sur la forme d’ailleurs. Commençons par le fond : là où Charlie Brooker a imaginé une histoire totalement différente et séparée de toutes les autres dans chacun de ses épisodes, Nathaniel Halpern raconte en fait une seule histoire, mais à travers des personnages différents à chaque fois. L’unité de lieu est respectée, puisque toute l’histoire se déroule au sein d’une petite ville de la campagne américaine. Les personnages sont largement identiques en fait, même s’il n’y a pas un seul personnage principal, mais plutôt un ou deux par épisode, et une galerie de personnages secondaires qui est toujours présente. Même si les points communs n’apparaissent pas tout de suite, Tales from the Loop avance bien de manière logique et il faut absolument voir les épisodes dans l’ordre proposé. Ce n’est qu’ainsi que vous pourrez vraiment apprécier l’originalité de l’univers, dévoilé petit à petit.
Cela étant, ne vous attendez surtout pas à tout comprendre, attendez-vous plutôt à ne rien comprendre. C’est peut-être ce qui surprendra le plus dans cette série : il n’y a quasiment aucune explication du début à la fin. Dès le premier épisode, on découvre qu’il y a des phénomènes étranges et en l’occurrence un voyage dans le temps qui propulse la jeune Loretta dans le futur et la contraint à se rencontrer adulte et mère de plusieurs enfants. Le voyage temporel est un classique de la science-fiction et il semble expliqué par l’utilisation d’une étrange pierre noire, extraite de « The Loop », un grand dispositif sous-terrain. Le mystère est alors très grand et on s’attend à ce qu’il soit éclairé dans les épisodes suivants, ce qui est après tout la norme en général. Il n’en est rien ici : Tales from the Loop continue avec une autre histoire, en l’occurrence la mésaventure de Jakob et de Danny, avec encore plus de mystères et toujours aussi peu d’explications. Changement de corps, blocage du temps, univers parallèle… au fil des épisodes, les mystères se multiplient sans que l’on en sache beaucoup plus. Nathaniel Halpern lève un petit peu le voile en nous emmenant plus tard sous terre, mais est-ce que l’on comprend pour autant comment fonctionne l’univers ? Non, et c’est très bien ainsi. La série de Prime Video pourrait être frustrante, mais on sait aussi que les explications seraient forcément décevantes et laisser l’imagination faire son travail est la meilleure chose qui pouvait arriver. Il faut accepter de se laisser porter par ces huit récits plus ou moins liés et de ne pas tout savoir. Au fond, a-t-on vraiment besoin de savoir de quoi est composée telle pierre noire, ou de comprendre le rôle de cette rivière qui gèle spontanément pour profiter de la série ?
Libérée de cette exigence d’explications, Tales from the Loop peut ainsi faire valoir d’autres points forts, à commencer par une ambiance poétique de toute beauté. Loin de la science-fiction technologique, l’univers créé ici préfère reprendre notre monde familier et le modifier par toutes petites touches. En général, cela se traduit par un décor des États-Unis dans les années 1970 ou 1980, perturbé seulement par des technologies rétro-futuristes ici ou là. Il y a ces grandes tours au loin, ces robots qui semblent se déplacer sans but dans la forêt, et puis évidemment le Loop lui-même sous la terre. Mais pour le reste, tout est identique à ce que l’on connaît, on n’est jamais dans la débauche technologique et l’ambiance est plus souvent rétro que futuriste. De la même manière, la réalisation est très calme et les intrigues avancent calmement, tandis que la mise en scène parie en général plus sur la beauté naturelle des paysages, avec régulièrement des plans magnifiques. C’est une série assez contemplative, qui a un grand sens du détail et qui est très bien réalisée. Elle profite aussi de sa bande-originale composée par Philip Glass et Paul Leonard-Morgan. Certes, on a parfois l’impression d’entendre un remake de la bande-originale de The Leftovers, avec une ambiance très proche de celles que Max Richter affectionne, mais la musique originale trouve sa propre voie et il faut bien reconnaître qu’elle colle à la perfection à l’univers.
Tales from the Loop en frustrera indéniablement plus d’un avec sa manière de ne jamais répondre aux questions et de garder le mystère jusqu’au bout. C’est pourtant son plus gros point fort et la série de Prime Video serait bien différente — et à mon avis bien inférieure — si elle expliquait de manière exhaustive tout son univers. La création de Nathaniel Halpern est intéressante justement parce qu’elle est étonnante et qu’elle n’essaie pas de se justifier, et parce qu’elle cherche au contraire à vous inciter à savourer un univers de science-fiction poétique. Ce genre de proposition assez rare est une agréable surprise, et cette première saison mérite vraiment le détour si vous pouvez accepter ce principe de départ.