Après la mort de Walt Disney, le studio qu’il a fondé ralentit son rythme. Les longs-métrages prennent plus de temps à sortir, ils connaissent moins de succès qu’avant et le manque d’inspiration commence nettement à se faire sentir avec une série de films d’animation sans aucune originalité. En 1985, alors même que le studio commence à s’intéresser à la télévision et sort sa première série animée, le vingt-cinquième classique Disney sort également dans les salles, après douze longues années de travail. Loin des copier/coller des longs-métrages précédents, Taram et le chaudron magique est une œuvre extrêmement ambitieuse. Désavoué par ses concepteurs, ce film est sans doute le plus original de tous les classiques, c’est sans conteste le plus sombre et même si le travail de Ted Berman et Richard Rich est effectivement plein de défauts, le résultat mérite malgré tout que l’on s’y intéresse. Par son originalité, Taram et le chaudron magique est un classique passionnant, à défaut d’être un bon film d’animation familial.
Quatre ans après un Rox et Rouky qui se contentait de décliner des formules déjà vues, Ted Berman et Richard Rich adaptent une histoire bien différente. Et pour cause, c’est une série de romans publiés dans les années 1960 et 1970 qui sert de base à Taram et le chaudron magique. Au-delà de la date, c’est le genre qui marque d’emblée la différence avec les longs-métrages qui le précèdent : le studio se risque au fantastique tendance heroïc-fantasy avec cette histoire de chaudron magique capable de créer une armée de morts-vivants pour un seigneur des ténèbres. Le titre français a essayé de le masquer, mais il suffit de penser au titre original (The Black Cauldron) pour constater que c’est bien un chaudron qui occupe le centre de la scène. Il y a bien un héros, un humain cette fois : Taram est un adolescent qui se voit en preux chevalier secourant les demoiselles en danger, mais qui n’est en fait qu’un valet de ferme qui s’occupe d’un cochon. On découvre dans les premières minutes que ce cochon est un peu particulier, puisqu’il peut voir le futur et qu’il pourrait indiquer au terrifiant Seigneur des Ténèbres la position du fameux chaudron magique. Pour éviter que ce dernier tombe dans les mauvaises mains, Taram est chargé d’aller en forêt avec l’animal pour le protéger. Commence alors une aventure pleine de rebondissements et de dangers, comme il convient dans le genre. En effet, Taram et le chaudron magique ne s’inspire pas seulement d’un livre d’heroïc-fantasy, il respecte aussi le genre et propose de nombreux éléments qui devraient plaire aux fans. Il y a des squelettes ramenés à la vie par un chaudron magique, il y a un grand méchant qui prend les apparences d’un mort-vivant avec une grande cape, il y a encore une épée magique capable de détruire n’importe quel métal et puis il y a des créatures magiques, à l’image de ce cochon capable de connaître l’avenir. Taram et le chaudron magique ne manque pas d’attributs liés à l’heroïc-fantasy, ce qui est assez surprenant pour un film signé Disney. C’est plutôt courageux de la part du studio et on peut au moins reconnaître une envie de sortir de l’ordinaire.
Si l’on ne peut pas reprocher cette originalité, le vingt-cinquième classique n’est pas exempt de défauts non plus, loin s’en faut. Comme on le disait plus haut, le vrai héros de l’histoire est un chaudron, ce qui est quand même étrange. Le personnage principal humain n’a pas de vraie présence à l’écran et il évoque un peu le personnage de Moustique, dans Merlin l’Enchanteur : on sent qu’il était nécessaire, mais qu’il n’est pas celui qui intéressait les scénaristes. Ted Berman et Richard Rich ne lui font pas faire grand-chose de passionnant, c’est un personnage étonnamment bavard et finalement assez inactif, d’autant que c’est une épée magique qui lui permet de réaliser ce qu’il fait. À un moment, il rencontre une princesse qui n’a aucun attribut de la princesse Disney traditionnelle et qui semble d’ailleurs avoir été placée là parce qu’il fallait une fille et une histoire d’amour. De manière générale, Taram et le chaudron magique multiplie les personnages sans trop savoir qu’en faire et sans vraie raison. La touche comique est attribuée à deux personnages secondaires un peu bouffons avec, d’un côté, Gurgi, une improbable et insupportable bestiole à mi-chemin entre Donald pour la voix, et le Gollum du Seigneur des Anneaux pour le comportement général. Du côté des méchants, c’est un crapaud un peu stupide qui a ce rôle, avec des gags qui ne feront rire plus personne après cinq ans. Cette présence qui devait sans doute répondre au cahier des charges initial est étrange, d’autant que ce long-métrage est le plus noir de tous les Disney. Certes, depuis Blanche-Neige et les sept nains, tous les classiques ont une part de noirceur, mais aucun n’était allé aussi loin dans le désespoir. Le scénario de Taram et le chaudron magique peut bien multiplier les personnages — on pourrait encore évoquer des fées et des sorcières —, il n’en reste pas moins assez désespéré et la victoire du bien ne tient qu’à un cheveu. C’est étonnant et c’est surtout très intéressant, même si les deux réalisateurs n’ont sans doute pas pu aller aussi loin que souhaité.
Taram et le chaudron magique est le film des premières fois. Symboliquement, c’est la première fois qu’un Disney ne commence pas sur le générique pour se terminer uniquement sur « The End ». C’est aussi la première fois que l’on voit le logo Disney, celui avec le château de La Belle au bois dormant. C’est aussi la première fois que public et critiques boudent le film à sa sortie : ce premier flop de l’histoire du studio doit être relativisé sur le plan financier par rapport à quelques échecs récents, mais il n’en demeure pas moins que Disney a tout fait pour l’oublier. Ce désamour intrigue et avec le recul, Taram et le chaudron magique est bien plus intéressant que les autres productions de cette époque. C’est un essai raté, certes, mais un essai qui reste passionnant par son côté radical. Et au fond, c’est peut-être parce que c’est la première fois qu’un classique ne s’adressait pas aux plus jeunes, sans aller jusqu’au bout en s’adressant aux adolescents et adultes, que le projet a échoué. Par moment, on sent des pistes que Hayao Miyazaki commençait déjà à creuser à la même époque, mais sans aller aussi loin, comme si le film était retenu par des obligations qui, finalement, signent son échec.