Terrence Malick et l’Amérique, Alexandre Mathis

Publié en 2015, deux ans après la sortie d’À la merveille, Terrence Malick et l’Amérique est un essai sur l’œuvre si singulière du cinéaste texan. Alexandre Mathis analyse les six long-métrages alors sortis du réalisateur et essaie de les analyser de manière transversale. Une tâche compliquée par la discrétion légendaire de Terrence Malick, que personne n’a interviewé depuis 1979 et qui n’aime pas même se montrer face à un objectif. Armé uniquement des films et de quelques rares interviews accordées par le réalisateur à ses débuts, Alexandre Mathis tisse des liens entre chaque œuvre et dresse un portrait riche et passionnant de son sujet. Terrence Malick et l’Amérique est un essai assez bref et facile à lire qui donne envie de revoir différemment tous les films du cinéaste.

Imaginer le cadre de vie de Terrence Malick relève de l’exploit. Réalisateur le plus secret depuis Stanley Kubrick, le Texan n’a cessé de fuir les projecteurs durant ses quarante ans de carrière. Dès lors, difficile d’espérer aller puiser dans sa vie médiatique pour le comprendre. Sa plus belle évocation intime reste ses films. — Alexandre Mathis, Terrence Malick et l’Amérique, Introduction

C’est ainsi que l’auteur ouvre son essai et il faut bien dire que Terrence Malick n’est certainement pas le sujet le plus facile quand on veut étudier la carrière d’un cinéaste. Certains réalisateurs s’épanchent volontiers sur leur travail, détaillant les intrigues, expliquant pourquoi tel personnage agit ainsi, ou tel cadre ou effet spécial a été utilisé. C’est tout l’inverse pour celui qui s’est fait une réputation dès sa première réalisation, mais qui a disparu pendant une vingtaine d’années après la seconde. On ne sait presque rien des dix-neuf ans qui séparent Les moissons du ciel de La ligne rouge si ce n’est, comme l’évoque l’auteur toujours dans son introduction, que Terrence Malick s’est attelé à un immense projet qui fut aussi un énorme échec. Quand il revient sur le devant de la scène, c’est avec un film sur la Seconde guerre mondiale qui ne ressemble à nul autre et qui a été totalement éclipsé par le blockbuster de Steven Spielberg sorti la même année. Refusant le spectaculaire, cette œuvre pivot affichait encore plus ouvertement l’amour de son auteur pour la nature et les questions métaphysiques. Récompensé par la Palme d’or et largement incompris, The Tree of Life a représenté un nouvel aboutissement de cette tendance et lancé une vague de longs-métrages publiés à un rythme impressionnant pour Terrence Malick, tous sur la même longueur d’ondes. Cette vague venait uniquement de commencer quand Alexandre Mathis s’est penché sur sa cinématographie, mais les six films à sa disposition dressaient déjà une tendance très nette dans cette carrière étrange.

Au-delà des évolutions que l’on peut noter d’un film à l’autre, le tour de force de Terrence Malick et l’Amérique est bien au contraire de dresser lister des points communs. Ce n’est pas toujours évident au premier regard, mais il y a bel et bien une unité dans la carrière du réalisateur, y compris avec La Balade sauvage qui concentrait déjà tous les thèmes qui lui sont chers et une mise en scène déjà contemplative. Alexandre Mathis va plus loin que ces simples constats et il essaie de décrypter le rapport du cinéaste à l’Amérique, mais aussi au sacré. Il note ainsi que la filmographie reconstruit une histoire des États-Unis, et même de la Terre toute entière avec les segments sur le Big Bang dans The Tree of Life et l’on pourrait ajouter Voyage of Time : Au fil de la vie, documentaire sur la création de la vie qui vient de sortir, mais qui était en gestation depuis une quarantaine d’années. La découverte des Amériques avec Le Nouveau Monde, la Seconde guerre mondiale dans La Ligne rouge, les Trente Glorieuses dans The Tree of Life… chaque œuvre peut être rangée sur une frise chronologique pour former un tout, une sorte de récit des États-Unis. Et il ne faudrait pas penser que c’est terminé : Alexandre Mathis cite très régulièrement À la merveille qui, par certains aspects, ressemblait à une variante de son prédécesseur, mais qui est en fait une œuvre à part entière et totalement inscrite dans la carrière de Terrence Malick. Si ce n’est pas sur l’histoire, c’est sur l’opposition entre l’ancien et le nouveau monde. Ou encore sur le rapport au sacré, un thème essentiel dans ce film, mais qui traverse là aussi toute la filmographie du cinéaste, sans que ce soit toujours explicite.

Terrence Malick et l’Amérique passionne ainsi en listant et décryptant tous les thèmes forts chez le réalisateur et en faisant redécouvrir tous ses films. Il y a quelques points évidents, mais beaucoup de choses aussi que vous n’avez probablement pas vus et que vous aurez envie de découvrir en revoyant les différents long-métrages. On aimerait en savoir plus sur les tournages exigeants et si étranges du cinéaste, mais il est vrai que c’est un autre sujet. Et puis Alexandre Mathis n’avait probablement pas beaucoup plus à en dire, même s’il l’avait voulu, mais le peu que l’on trouve dans son essai est tout aussi passionnant que le reste1. Si vous aimez les films du Texan, ne passez pas à côté de Terrence Malick et l’Amérique après avoir vu tous ses films. Et probablement avant de les revoir tous à nouveau…


  1. En particulier, l’extrême préparation en amont et l’improvisation sur les tournages. Mais aussi les films qui changent en cours de route, à l’image d’À la merveille qui devait se concentrer sur le personnage masculin et qui a changé pour se recentrer sur un personnage féminin. Ces changements alors que les caméras tournent déjà ont perturbé de nombreux acteurs… surtout ceux qui ont parfois presque disparu du montage final.