Years and Years, Russell T Davies (BBC)

La science-fiction s’intéresse souvent à un futur distant de notre réalité. Imaginer ce qui se passera dans quelques dizaines ou centaines d’années est assez facile au fond, l’imagination pouvant agir assez librement, mais imaginer ce qui se passera dans cinq ans est nettement plus compliqué. C’est précisément l’ambition de Years and Years, qui suit une famille anglaise sur une quinzaine d’années à partir de 2019. Un pari difficile, tant la situation politique actuelle est mouvementée, mais la série créée par Russel T Davies parvient à viser juste, à un point où elle met vraiment mal à l’aise. Rares sont les séries à être aussi précises et intenses sur la politique ou les questions sociales, avec des épisodes d’une incroyable puissance. Dommage que cette excellence sur la société et la description d’une famille soit entachée par un oubli terrible ; Years and Years réalise quasiment un hors sujet en omettant la question environnementale. Cette série créée par la BBC mérite absolument d’être vue, mais cet oubli l’empêche de convaincre complètement.

Après un bref passage dans un Royaume-Uni de 2019 fictif, mais si proche du vrai, Years and Years fait un premier bon en avant de cinq ans. Que se passera-t-il en 2024 ? Russel T Davies imagine que le Brexit a bien eu lieu, que Donald Trump a gagné un second mandat, que la Chine a construit une île artificielle pour y implanter une base militaire qui pourrait menacer les États-Unis, que l’Ukraine passe sous les ordres de Moscou et provoque un exode massif. Rien de farfelu, que des événements qui pourraient très bien arriver avant même 2024 et on est frappé très vite par le réalisme de ce futur dystopique, mais pas artificiellement futuriste. On retrouve par bien des aspects le meilleur de Black Mirror, avec une technologie nouvelle, mais très discrète. Les voitures ne volent pas, on utilise toujours des smartphones, mais les assistants vocaux que l’on a déjà dans nos foyers sont devenus omniprésents et ils sont plus intelligents. Il y a ainsi quelques touches héritées de la science-fiction, mais on sent bien que ce n’est pas ce qui intéresse le créateur de Years and Years. Le véritable sujet de la série est très clair dès la toute première scène en 2019 qui se veut un petit peu le point de départ de tout ce qui suit : la politique. Les six épisodes suivent l’ascension de Vivienne Rook, une femme d’affaires qui se lance en politique après s’être faite connaître en disant à la télévision qu’elle n’avait rien à foutre du conflit israélo-palestinien. Une femme politique qui détonne au milieu des partis traditionnels et qui petit à petit, gagne en popularité jusqu’à devenir Première Ministre et imposer une politique détestable. La série s’intéresse tout particulièrement à l’immigration et les mesures mises en place pour la contrer, jusqu’aux camps qui sont cruellement déjà dans l’actualité. Tout cet aspect de la série de la BBC est excellente, mesurée et parfaitement crédible, au point de faire souvent froid dans le dos. La société imaginée par le scénario ressemble bien trop à la nôtre pour ne pas se sentir anxieux quand on voit dans notre actualité les prémices de ce qui est présenté ici. Les questions de société et toute la partie politique sont parfaitement rendues et c’est indéniablement le plus gros point fort de Years and Years.

L’autre point fort, c’est la famille Lyons qui sert de fil conducteur au fil des années. Russel T Davies a imaginé une famille dans la norme autour d’une grand-mère, ses quatre petits-enfants et quelques arrières petits-enfants. La mère est morte quelques années auparavant, le père les a abandonnés il y a bien longtemps. L’aîné est père de famille, l’une des sœurs est une militante qui parcourt le monde pour défendre des causes, l’autre sœur vient juste d’avoir un enfant avec un Chinois reparti dans son pays et Daniel est marié à un homme. Years and Years a beau être une série très courte avec six épisodes seulement, elle construit des personnages riches, complexes et donc réalistes. On évite les clichés faciles, les membres de cette famille fictive ont des relations compliquées, pas systématiquement conflictuelles et avec des évolutions bien amenées au fil des années. Saluons évidemment le travail des acteurs, mais c’est surtout l’écriture qui est excellente et qui explique la réussite de l’ensemble. Avec tant de points positifs, la BBC pourrait bien avoir signer la série de l’année et ce serait peut-être le cas si elle n’avait pas frôlé le hors-sujet. On a du mal à comprendre comment une série si bien écrite sur le plan social et politique a pu oublier le réchauffement climatique et toutes les questions environnementales. Non pas que ce soit totalement absent, mais Russell T Davies donne le sentiment de s’être rappelé in extremis que c’était un sujet qui existe et qu’il a saupoudré son scénario d’une remarque ou deux. Mais cela ne suffit évidemment pas, et on attendait beaucoup plus de ces problèmes. Dans les premiers épisodes, on peut croire que Years and Years illustre l’ignorance commune avec ces personnages qui ne prêtent aucune attention au climat. Cela aurait été une bonne idée, sauf que les épisodes défilent sans que la question se pose, comme si le créateur de la série lui-même n’avait absolument pas conscience du problème. C’est très bien d’évoquer les dangers d’une politique populiste ou encore les exodes de population pour des raisons sociales, mais tout cela paraît bien mineur en comparaison d’une planète inhabitable. Les questions sociales sont déjà étroitement associées avec le climat et ce sera toujours plus le cas à l’avenir. Pour ne rien arranger, non seulement la série oublie le réchauffement climatique, mais elle se moque aussi constamment des vegans, alors même que c’est une réponse parfaitement valide face à ces problèmes.

Years and Years aurait pu être vraiment excellente et qualifiée de série la plus réussie de l’année même s’il reste encore plusieurs mois en 2019, si elle n’était pas passée à côté de ce sujet. En un sens, en oubliant le réchauffement climatique, elle est à côté de la plaque et oublie le plus important. Malgré tout, on ne peut pas condamner la série de Russel T Davies, parce qu’elle est aussi écrite à la perfection sur la politique, la société et sur cette famille. Sur ces sujets, elle offre le meilleur et cela justifie amplement de la regarder, et de tolérer la bande-originale bien trop lourde. Malgré ses défauts, Years and Years restera sans aucun doute dans les annales pour ses réussites.