Un film de science-fiction signé James Gray, ce ne peut évidemment pas être un space opera bourré d’action. Ad Astra évoque bien la conquête spatiale dans un futur proche où l’homme a colonisé la Lune et même Mars et s’est mis en quête d’une vie intelligente dans l’espace. L’intrigue passe ainsi d’un astre à l’autre et aussi dans le vide immense qui les sépare, mais il n’est pas tant question de combats que d’une quête personnelle. L’idée n’est pas nouvelle, c’est même un cliché de 2001 : l’odyssée de l’espace à Interstellar. Mais bizarrement, cet objectif mis en avant par James Gray n’est pas l’aspect le plus réussi de son film, c’est même le plus décevant. Ad Astra se rattrape fort heureusement sur d’autres points et il mérite d’être vu, mais pas forcément pour les raisons que son réalisateur avance.
L’homme a réussi à conquérir le système solaire, ou au moins une partie. Des liaisons commerciales sont disponibles pour se rendre sur la Lune, et de là, aller sur Mars est relativement simple. Une expédition scientifique est même allée au-delà, bien au-delà, puisqu’elle s’est arrêtée au niveau de Neptune. Aux confins de notre système donc, le plus loin possible du soleil et de ses perturbations, avec l’objectif de détecter une forme de vie intelligente dans l’espace. Quand Ad Astra commence, une série de surcharges électriques endommagent les installations humaines sur Terre et au-delà et on suspecte cette mission de Neptune, dont l’humanité est sans nouvelle depuis plusieurs années. Son commandant est suspecté d’avoir coupé les ponts et tué une partie de son équipage, et les autorités demandent à son fils de partir sur Mars pour essayer de communiquer avec son père avec un laser. Voilà pour l’idée générale : James Gray conçoit l’équivalent d’un road movie de l’espace, ou plutôt d’une plongée au cœur de l’immensité spatiale. Le cinéaste cite volontiers Au cœur des ténèbres de Conrad, l’œuvre qui avait déjà inspiré Apocalypse Now et en partie aussi son long-métrage précédent, The Lost City of Oz. Plus le récit avance et plus le personnage principal s’éloigne de la Terre, de l’humanité et de sa santé mentale. C’est le principe en tout cas, mais étrangement, cette volonté du réalisateur ne se retrouve pas complètement dans le résultat final. La dernière étape du voyage est censée durer 80 jours et le héros est totalement seul dans son vaisseau spatial. On nous dit qu’il perd la tête, mais on ne le voit pas totalement, on ne le ressent pas complètement. Peut-être parce que la séquence passe trop rapidement, peut-être aussi parce que le personnage ne semble pas perdre la raison comme ce pouvait être le cas dans d’autres œuvres sur le même thème. On devine bien les intentions du film à ce moment-là, mais le compte n’y est pas pour autant.
Ad Astra est-il pour autant une déception ? Non, parce que le long-métrage a d’autres arguments en sa faveur. La quête du héros pour retrouver son père est déjà bien plus convaincante. Il s’est senti abandonné dès l’enfance par ce héros glorifié universellement et c’est quasiment une vengeance qu’il cherche, en tout cas des explications, avec une rencontre assez cruelle à cet égard. On apprécie aussi la simplicité de sa narration et la cohérence de son univers. James Gray voulait signer l’œuvre spatiale la plus réaliste qui soit et même si sur ce point, Gravity avait mieux réussi à rendre compte de la dangerosité et de l’immensité de l’espace, on peut malgré tout noter les efforts du projet pour rester sur une simplicité réaliste. Les fusées sont très similaires à celles que l’on utilise encore aujourd’hui et elles ne vont pas vraiment plus vite. Il faut dix-neuf jours pour un voyage entre Lune et Mars, on est loin des vitesses supraluminiques que l’on retrouve souvent en science-fiction. L’invention concerne ces stations installées sur notre satellite et sur la planète rouge, et une aisance dans le voyage spatial qui n’est pas encore une réalité. Le réalisateur a la bonne idée de montrer à quel point l’humanité n’a pas changé en conquérant son espace proche. L’arrivée sur la Lune dévoile une sorte de grand centre commercial spatial, avec ses publicités partout et ses escaliers mécaniques. L’homme est venu s’y installer pour exploiter ses richesses minérales et la majorité du territoire est un nouveau Far West contrôlé par des bandes armées, des pirates d’un temps moderne. L’une des séquences les plus impressionnantes et réussies d’Ad Astra est justement une course-poursuite sur des véhiculaires lunaires, où la gravité moindre a été particulièrement bien prise en compte. Un autre réalisateur aurait multiplié l’action la plus spectaculaire possible, mais James Gray parvient à créer du suspense sans remettre en cause une vision assez réaliste. Plus tard, on retrouve cette même idée dans deux scènes d’affrontement dans l’espace, où l’absence de gravité complique les choses et ralentit l’action, sans pour autant retirer tout effet de suspense. Un bon équilibre, qui a indéniablement contribué à la réussite du projet.
Au fond, James Gray donne le sentiment d’être passé à côté du vrai sujet, qui est aussi bien plus intéressant. Ad Astra n’est pas vraiment l’histoire d’un astronaute en quête de père, mais plutôt de la Terre qui est unique en son genre et doit être préservée. C’est ce qui ressort finalement de l’opposition entre le personnage principal et son père, qui refuse d’en arriver à cette conclusion et s’entête dans une quête de vie intelligente. Brad Pitt est omniprésent et impeccable, mais il aurait gagné à limiter l’introspection et la fête de soi forcée à basée de monologues à la Terrence Malick. Ad Astra n’avait pas besoin de tout ce bagage, ni même de la musique parfois un petit peu trop zimmerienne de Max Richter1. Malgré toutes ces critiques, le film vaut le détour si vous aimez la science-fiction, la vision proposée par James Gray est cohérente et l’histoire se suit avec plaisir. C’est encore une preuve que les concepteurs d’une œuvre ne sont pas toujours les mieux placés pour en parler…
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- On pense à plusieurs reprises à la musique créée pour Interstellar, qui n’était déjà pas la plus originale qui soit. Cela n’enlève rien à la beauté des morceaux composés pour Ad Astra, mais on aurait peut-être attendu quelque chose de plus intéressant de la part du compositeur. ↩