Pendant trois ans, Alfred Hitchcock a enchaîné les succès, avec un chef d’œuvre chaque année : Sueurs froides en 1958, La Mort aux Trousses en 1959 et enfin Psychose en 1960. Après un tel trio, la pression était immense pour la suite, mais le cinéaste britannique, armé d’un confortable budget de plusieurs millions d’euros, a pris son temps. Les Oiseaux ne sort qu’en 1963, après trois ans de préparation qui n’ont pas été de trop pour ce film d’horreur qui a battu à l’époque tous les records en matière d’effets spéciaux. Pas moins de 371 plans ont nécessité des truquages visuels, du jamais vu pour ce long-métrage qui a posé quelques bases techniques régulièrement utilisées depuis au cinéma. Les Oiseaux est aussi un film d’horreur extrêmement angoissant et bien mené, encore un classique. Brillant !
Les oiseaux apparaissent à l’écran dès la toute première image, celle du générique d’ouverture où les silhouettes des volatiles défilent derrière les noms du casting et de l’équipe. Dès cette séquence, Alfred Hitchcock parvient à faire ressentir comme une pression, pas forcément une menace encore, mais un malaise s’instaure, peut-être parce que l’on reconnaît un corbeau, ou un merle, sur ces silhouettes sombres. Malin, le cinéaste enchaîne avec une première séquence au milieu des oiseaux, mais cette fois qui essaie de faire oublier toute menace. La première scène se déroule en effet dans une animalerie de San Francisco, au milieu de petits oiseaux mignons dans leurs cages. C’est une manière de désamorcer ce sentiment de gêne que le spectateur pouvait connaître auparavant, et c’est aussi une façon de présenter les deux personnages principaux, Melanie et Mitch. Elle est la riche fille d’un propriétaire de journal de San Francisco et elle passe ses journées à faire des blagues pas toujours de bon goût. Lui est avocat dans la ville et il est là pour lui faire une blague, en la prenant pour une vendeuse. Les Oiseaux commence ainsi sur une note plus légère et la suite est à l’avenant. Comme dans bon nombre de ses films, Alfred Hitchcock prend son temps pour faire monter le suspense, il ne se précipite et pose tranquillement ses personnages. Intriguée par sa rencontre, Melanie décide de jouer le jeu en apportant les oiseaux demandés par Mitch, et elle se rend à Bodega Bay pour les amener. Pendant plusieurs minutes, tout va pour le mieux, on suit l’héroïne sur un bateau à travers la baie, elle amène la cage avec les deux inséparables que cherchait l’avocat et une idylle pourrait naître dans ce qui commence à ressembler à une comédie romantique sans saveur. C’est précisément à ce moment-là que le cinéaste réintroduit un oiseau, et cette fois en explicitant la menace : une mouette attaque Melanie sans raison alors qu’elle est sur son bateau. À partir de cet incident isolé, Les Oiseaux se construit petit à petit en un véritable cauchemar, pour les habitants de la ville. Une montée en puissance qui s’accompagne d’une mise en scène toujours plus ambitieuse, avec des effets visuels toujours plus spectaculaires. Alfred Hitchcock innove pour plusieurs séquences qui entremêlent prises de vue réelles et tournages en studio, mais aussi oiseaux dressés et animation traditionnelle. Le tout au service d’une peur qui s’empare de la petite bourgade, mais aussi des spectateurs.
La blessure légère de Melanie causée par une mouette pouvait n’être qu’un accident, tout comme le goéland retrouvé mort devant la porte d’une maison. Les enfants attaqués pendant une fête d’anniversaire ont certainement énervé les oiseaux d’une manière ou d’une autre. La mort d’un fermier du coin, tailladé de mille blessures et les deux yeux en moins, pouvait encore ressembler à un meurtre déguisé en attaque d’oiseau. Ces explications rationnelles, renforcées par les discours de plusieurs personnages, ne valent pas grand-chose face à la psychose qui s’empare de la petite ville habituellement si tranquille. Par sa mise en scène, Alfred Hitchcock joue sur cette peur et renforce l’impression de menace, même si les oiseaux peuvent rester tranquilles à l’écran. Le meilleur exemple de cette « méthode » pour générer le suspense, c’est bien sûr la fameuse scène de l’école, quand l’héroïne attend la fin de la classe pour récupérer une élève. Elle se pose sur un banc juste à côté de l’école et allume une cigarette. La caméra la filme de face, avec un cadre suffisamment large pour que le spectateur voie les jeux d’enfants à l’arrière-plan. Un corbeau se pose en silence à l’insu du personnage, puis un deuxième, un troisième… bientôt tout le décor est recouvert et Melanie ne voit rien, jusqu’au moment où elle suit du regard un corbeau qui passe par là. Elle se retourne et la caméra montre son horreur, dans un silence complet. C’est d’ailleurs l’un des points forts du film : le réalisateur exploite presque exclusivement le cri des oiseaux en guise de bande-son et il n’y a en général pas de musique extradiégétique. Pour en revenir à la scène de l’école, il y a bien une musique, celle des enfants qui chantent une comptine, mais elle ne fait que renforcer l’attente et le sentiment qu’il va se passer quelque chose. Quand l’action se déclenche enfin, elle est étonnamment brutale pour l’époque. Le sang est un petit peu trop rouge pour être réaliste, mais Les Oiseaux reste une œuvre très graphique et particulièrement inventive en termes de mise en scène de l’action. Plusieurs séquences restent encore très spectaculaires, même si certains effets ont logiquement mal vieilli1. En particulier, la tout aussi fameuse scène de l’attaque dans le grenier est un grand moment de cinéma, toujours aussi impressionnant aujourd’hui, même si ce n’est pas forcément pour les meilleures raisons2. Citons aussi l’attaque de la ville, avec une explosion en chaîne à partir de la station-service, une idée qui a inspiré tant de films par la suite et qui est parfaitement menée.
Ce n’est pas un film à suspense, comme Alfred Hitchcock les enchaînaient à l’époque, ce qui a surpris les contemporains à sa sortie. Les Oiseaux est bien plus proche du film d’horreur, même s’il n’essaie jamais de faire sursauter ses spectateurs. À la place, le long-métrage présente une situation cauchemardesque, où une ville tranquille est attaquée sans raison par des oiseaux jusque-là parfaitement inoffensifs. Le réalisateur tenait à ce qu’il n’y ait pas de raison, pas même un indice ou une piste. La fin abrupte en est l’illustration parfaite : on ne sait pas pourquoi les oiseaux ont attaqué brutalement les personnages, et on ne sait pas s’ils sont tirés d’affaire à la fin. On ne sait rien et c’est précisément pour cette raison que Les Oiseaux est aussi intense et prenant. Encore une fois, Alfred Hitchcock fait preuve d’une maîtrise absolue et le résultat est toujours aussi excellent.
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- La scène avec les moineaux dans la maison, en particulier, a fait largement appel à l’animation, puisque les vrais oiseaux n’ont pas voulu jouer le jeu et faire ce que l’on attendait d’eux. C’est assez bien fait, mais on voit malgré tout les dessins ajoutés aux mouvements des acteurs. ↩
- La scène devait être tournée avec des oiseaux mécaniques, mais ils n’ont jamais fonctionné. À la place, Alfred Hitchcock a utilisé de vrais oiseaux, traumatisant sa jeune actrice qui a même terminé à l’hôpital. Le résultat est là, mais à quel prix… ↩