Quand Oz est apparue sur HBO, c’était une première pour de multiples raisons. Première série sur cette chaîne câblée spécialisée jusque-là dans les longs-métrages et qui avait du mal à trouver un public. Première fois qu’une série consistait en des épisodes d’une heure sans coupure publicitaire. Première fois aussi que l’on pouvait découvrir un traitement assez radical, très sombre et sans concession. En somme, Tom Fontana crée sans forcément le savoir la première série moderne, comme on a l’habitude d’en voir aujourd’hui. À une époque où les sitcoms dominaient, raconter le quotidien d’une prison de sécurité maximale était un pari risqué, mais payant. Oz a quelques défauts liés à son statut de première expérience, mais cette série reste vingt ans plus tard un classique à redécouvrir.
La première saison commence directement au cœur de la prison d’Oswald, un centre pénitentiaire fictif situé dans l’État de New York. On y entre avec le personnage de Tobias Beecher, un avocat sans histoire, mais qui tue accidentellement une petite fille alors qu’il conduit en état d’ébriété et qui se retrouve ainsi en prison. Oz commence en prison et n’en sort jamais ensuite. À part quelques brefs flashbacks pour situer l’histoire de certains personnages avant leur emprisonnement, la série créée par Tom Fontana est un long huis-clos de six saisons et 56 épisodes. C’est un pari audacieux, peut-être motivé au départ pour des raisons de budgets — un seul décor, c’est toujours moins cher qu’une multitude de lieux à filmer —, mais qui joue en faveur de la série. En se concentrant sur l’intérieur de la prison et en éliminant au maximum le monde extérieur, Oz crée un microcosme, une réplique de la société américaine dans ce qu’elle aurait de pire et fermée sur elle-même. C’est certainement la meilleure idée de la série et les scénaristes l’ont utilisé au maximum, en imaginant notamment Emerald City, une section à l’intérieur de la prison où la sécurité est un petit peu moins stricte et où les prisonniers peuvent agir plus librement. À l’intérieur de ce cadre, l’univers carcéral regroupe les prisonniers encore plus nettement qu’à l’extérieur. Il y a les Aryens, les Musulmans, les latinos, les black, les catholiques… et chaque prisonnier doit nécessairement se trouver un groupe pour survivre. Tobias n’est pas clairement dans une catégorie et cela va lui causer beaucoup de problèmes, en tombant sous l’influence successive des leaders d’autres groupes. Même si les épisodes racontent les histoires des hommes qui occupent les lieux, Oz raconte avant tout les travers des États-Unis. Racisme, homophobie, fanatisme religieux, violence, drogues… les détenus en prennent pour leur grade, mais ce ne sont pas les seuls. Le gouverneur qui gère Oswald est régulièrement présenté comme un politicien véreux qui ne cherche qu’à réduire le budget des prisons. Et les gardiens sont loin d’être des anges, ce sont même souvent des salopards qui ne valent guère mieux que leurs prisonniers, ils sont violents, manipulateurs et corruptibles.
On a l’habitude aujourd’hui de voir une telle noirceur et surtout d’assister à une violence frontale brute. À sa sortie, Oz a été critiquée pour ses excès, sa représentation sans pudeur de la nudité masculine et de l’homosexualité et pour sa vision ultra-réaliste de la violence. Les morts s’enchaînent rapidement et la caméra ne se détourne pas quand il s’agit de montrer une plaie ensanglantée. HBO a laissé carte blanche à Tom Fontana et il est évident que la série aurait été totalement différente sur une autre chaîne de télévision, beaucoup moins violente et plus policée. Avec le recul, ce parti-pris extrême est un élément clé pour comprendre le succès de la série et aussi l’esprit imposé au fil des séries par la chaîne. Les Sopranos, Sur Écoute ou encore Six Feet Under auront tous une approche similaire dans les années suivantes, mais Oz est peut-être la série qui a été le plus loin dans le domaine. Par bien des aspects, l’œuvre créée par Tom Fontana fait preuve d’une radicalité que l’on a perdu aujourd’hui à la télévision. On sent que c’est un premier essai et qu’ils ont tenté des choses, avec un résultat plus ou moins convaincant d’ailleurs. L’idée du narrateur qui ouvre chaque épisode et l’entrecoupe régulièrement, souvent sur des thèmes plus généraux, que ce soit à propos de religion, d’histoire ou de philosophie, est excellente et le personnage d’Augustus Hill interprété par Harold Perrineau ajoute beaucoup à l’ensemble. En revanche, les expérimentations visuelles avec des filtres très colorés ont mal vieilli et ces scènes sont souvent assez ratées. Oz a la bonne idée de ne pas privilégier un seul personnage et de suivre au contraire plusieurs prisonniers, mais en contrepartie, tous ne sont pas aussi intéressants. Les acteurs sont à des niveaux très différents, J.K. Simmons est impeccable dans le rôle du grand méchant, Vern Schillinger. Terry Kinney dans celui de Tim McManus, le responsable d’Em City, s’en sort bien, mais son personnage est un petit peu caricatural. Quant à Eamonn Walker, c’est l’inverse : le personnage de Kareem Saïd est le plus intéressant de tous, mais l’acteur en fait souvent trop.
Quelques défauts à relever donc, mais ils n’enlèvent rien à la réussite de l’ensemble. Tom Fontana n’avait probablement pas conscience qu’il réinventait la télévision avec sa série, mais c’est pourtant bien ce qui s’est passé. Oz reste le premier exemple d’une longue vague et on y retrouve quasiment tous les attributs des séries modernes. On pense inévitablement à Orange is the New Black qui est son pendant féminin et qui contient de nombreux points communs, mais ce n’est pas la seule influence. Le format et la structure même des épisodes et des saisons, la violence crue, le traitement des personnages… même si Oz n’est pas parfait, ce premier exemple reste toujours passionnant. Avis aux amateurs de série, ces six saisons fondatrices méritent absolument le détour.