L’énorme saga de Marvel continue de s’étendre et on entre dans la phase finale de la troisième partie, initiée il y a deux ans avec Captain America : Civil War. En attendant la grande réunion des Avengers prévue dans quelques mois, la saga lance un nouveau personnage, que l’on avait en fait croisé dans le précédent Captain America, mais qui n’avait eu son introduction en bonne et due forme. Black Panther est intéressant à cet égard, puisque c’est la première fois depuis Doctor Strange que l’on s’intéresse à un nouveau super-héros et surtout que l’on peut oublier, le temps d’un film, l’énorme machine qui s’est mise en place progressivement depuis dix ans. Le long-métrage réalisé par Ryan Coogler est d’autant plus intéressant qu’il s’éloigne des États-Unis et de l’américano-centrisme, pour embrasser une culture africaine trop rare ou trop souvent caricaturée dans ce genre de blockbusters. Et même s’il y a quelques défauts et facilités, c’est dans l’ensemble une bonne surprise : Black Panther est un très bon divertissement et un Marvel différent, et donc plus intéressant que la moyenne. Ce sang neuf fait du bien à la saga.
La panthère noire était apparue dans Captain America : Civil War et le personnage avait un rôle important, autant qu’une demi-douzaine d’autres super-héros dans cet Avengers avant l’heure. Mais même s’il était souvent à l’écran et si son rôle était central, il restait aussi largement un mystère et sans surprise, Black Panther a la tâche de nous le présenter en détails. À cet égard, le film est un récit des origines, mais ce héros de comics se distingue de la plupart de ses « collègues » précisément parce que ses origines sont atypiques. Ce super-héros n’acquiert pas ses pouvoirs grâce à une expérience malheureuse ou une modification génétique. Il n’est pas non plus un génie extrêmement riche qui peut se battre grâce à un équipement particulier. Il n’est même pas plus doté de capacités innées et fantastiques, non, il est autre chose… ou bien tout cela à la fois. Le récit des origines déployé par Ryan Coogler est en fait davantage celui du Wakanda que du prince T’Challa, alter ego du super-héros. La panthère noire est en effet le défenseur de ce pays fictif situé quelque part en Afrique orientale et qui apparaît aux yeux du monde comme l’un des plus pauvres, alors que c’est en fait littéralement l’Eldorado des mythes. Soit une civilisation extrêmement avancée sur le plan technologique grâce au Vibranium, qui est à la fois le matériau le plus résistant et le plus utile sur terre. Il sert à tout, à faire les armes les plus puissantes qui soient, à alimenter les habitants du pays en électricité, à les cacher aussi du monde extérieur… et évidemment, c’est cette même matière qui donne à la panthère noire sa force et son habileté. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que seul le roi du pays peut vraiment incarner ce personnage, et T’Challa le devient presque automatiquement à la mort de son père. Ce qui veut dire que c’est un super-héros fonctionnaire, en quelque sorte : dans la saga de Marvel, il n’y a qu’un seul personnage qui porte ce titre, mais on comprend qu’il y en a eu des dizaines d’autres par le passé, et qu’il y en aura encore des dizaines par la suite. C’est la première fois que l’on voit un personnage de ce genre dans la saga, du moins au cinéma1, et cette variation est passionnante.
T’Challa hérite presque automatiquement du statut de super-héros, mais tout est dans le presque. En effet, le héros de Black Panther doit encore affronter d’autres prétendants au trône, et c’est d’ailleurs astucieusement tout l’enjeu du film. Le personnage affronte tout d’abord l’un des clans du Wakanda et s’en sort facilement, mais l’intrigue se met ensuite en place autour d’un autre prétendant au trône, son cousin abandonné aux États-Unis alors que son père, un traitre, avait été tué par l’ancien roi, bien des années auparavant. C’est probablement la meilleure idée de Ryan Coogler, s’en tenir au maximum au Wakanda, même s’il y a toute une parenthèse en Corée du Sud au départ. C’est une parenthèse plaisante, avec un esprit James Bond assez inattendu, mais l’intrigue se concentre sur le pays d’origine et sur cette culture fascinante, à mi-chemin entre le monde tribal et la science-fiction. C’est une excellente idée et elle offre à Black Panther l’opportunité de se distinguer au milieu d’une marée de films qui, il faut bien le reconnaître, se ressemblent tous plus ou moins. Pas celui-ci, il a une identité très forte et bien écrite, même s’il y a quelques défauts. Les plans d’ensemble sur fonds verts sont souvent étonnamment cheap et hideux2 ; peut-être que les personnages principaux auraient pu éviter l’accent africain, surtout quand il s’agit d’acteurs américains ; et puis les séquences d’action sont toutes assez illisibles, comme c’est trop souvent le cas. Mais difficile de faire la fine bouche, l’ensemble est bien rythmé, l’humour est très bien dosé, les personnages sont cohérents et le long-métrage de Ryan Coogler est étonnamment politique. On pouvait s’attendre à un discours sur le racisme ambiant envers les noirs et Black Panther ne déçoit pas, c’est même l’une des trames générales du film, mais on ne s’attendait pas à une telle insistance sur l’esclavagisme et le colonialisme. Cela fait du bien de voir un blockbuster qui ose mettre les points sur les i sur le sujet, tout comme on apprécie tellement d’avoir des femmes qui ont toute leur place et qui ne sont pas que des accessoires sexuels. On pouvait regretter qu’un personnage gay dans le comics soit devenu hétérosexuel dans l’adaptation, mais comment ne pas applaudir cette scène où la générale oblige son compagnon à s’agenouiller face à elle ? Ce sont des symboles éminemment politiques et on comprend sans peine l’importance que porte déjà ce film, surtout aux États-Unis.
Pourquoi Marvel a attendu aussi longtemps pour sortir Black Panther ? L’idée d’adapter la bande-dessinée au cinéma remonte en fait aux années 1990, bien avant l’explosion du genre au cinéma, bien avant l’énorme saga autour des Avengers et des super-héros associés. Quoi qu’il en soit, Ryan Coogler prouve avec son adaptation que ce personnage a énormément d’intérêt et le réalisateur n’est pas passé à côté. Certes, on reste dans la grosse machine industrielle qui doit absolument coller à un immense univers, mais il parvient aussi à s’en défaire et à trouver sa propre voie. Et c’est tant mieux, parce que cette voie est bien plus convaincante que les Marvel récents. Souhaitons que ce Black Panther relance la saga sur une meilleure voie !
- À la télévision, on pourrait dire que c’est la même chose pour Iron Fist. L’origine des deux personnages est d’ailleurs étonnamment proche, même s’ils n’ont par ailleurs quasiment rien en commun. ↩
- Difficile de savoir où sont passés les 200 millions de dollars de budget, mais certainement pas dans les faux paysages du Wakanda… ↩