Christopher Nolan, la possibilité d’un monde, Timothée Gérardin

Les éditions Playlist Society poursuivent méthodiquement leur travail d’analyse transversale de cinéastes depuis un premier essai passionnant sur Terrence Malick. L’un de leurs ouvrages les plus récents, Christopher Nolan, la possibilité d’un monde, s’attache au réalisateur britannique qui s’est fait connaître, principalement grâce à sa trilogie Batman, pour ses blockbusters plus complexes et intelligents que la moyenne. Le cinéma de ce maître de l’illusion est très riche et surtout remarquablement cohérent, ce qui permet à Timothée Gérardin d’offrir une analyse qui traverse vingt ans de carrière et dix films. Si vous aimez les longs-métrages de Christopher Nolan, ne passez pas à côté de cet essai bref, facile à lire et riche d’enseignements.

Le titre de l’essai de Timothée Gérardin dévoile l’idée forte qui parcourt la centaine de pages que compte l’ouvrage : tous les films du réalisateur gravitent autour du monde, souvent difficile à comprendre. « Pris dans des intrigues souvent complexes, les personnages de Christopher Nolan ont en tête une idée pourtant simple : celle de comprendre le monde. », peut-on lire en quatrième de couverture de l’ouvrage, qui se concentre sur trois grandes idées fortes successives pour exposer son argument. Christopher Nolan, la possibilité d’un monde évoque d’abord les points de vue, à la fois leur multiplicité dans les œuvres du réalisateur et les perceptions faussées qui reviennent souvent et qui modifient la représentation du monde pour les personnages de Nolan, à commencer par la fatigue qui fausse tout dans Insomnia. Les illusions, au cœur de son cinéma et pas uniquement dans Le Prestige, font l’objet d’une deuxième partie, avec une mise en avant du rôle particulier des objets et surtout un développement sur la multiplication des mondes, thème récurrent dans sa filmographie. Enfin, Timothée Gérardin évoque plus brièvement les personnages, les humains qui sont au cœur des intrigues malgré ce que l’on peut parfois entendre. Dans cette dernière partie, l’aspect politique de la trilogie Batman fait l’objet d’un développement particulièrement intéressant et qui rappelle que ces trois blockbusters ne sont pas que du grand spectacle facile, adapté d’un comics qui traçait la voie sans originalité. Les trois films dressent une trajectoire très claire, avec plusieurs menaces politiques, de l’anarchie de Joker dans The Dark Knight : Le Chevalier noir à la démagogie de Base dans The Dark Knight Rises, en passant par le fascisme de Ra’s al Guhl dans Batman Begins et face à elles, des réactions différentes de la part de Batman.

Rien n’est jamais facile et encore moins gratuit chez Christopher Nolan. En dressant des parallèles entre tous les longs-métrages du réalisateur, de Following à Dunkerque, l’auteur montre bien la logique d’ensemble. Il y a des idées fortes, comme le rôle des objets, que l’on retrouve dans presque tous les films et souvent dans des œuvres radicalement différentes. Les objets volés de Following, les souvenirs de Memento, les accessoires du Prestige ou encore les totems d’Inception sont à la fois des éléments objectifs qui rattachent les personnages au monde réel, et autant de sources d’illusion. La toupie est restée célèbre dans Inception, mais elle est à la base de la même désillusion que les objets de sa femme rassemblés par le héros de Memento, pour reprendre l’un des exemples de Timothée Gérardin, et ces objets sont des liens faussés avec le monde. Il n’y a pas que des objets dans le cinéma de Christopher Nolan, et il n’y a pas qu’une mise en scène et surtout un art du montage parfois d’une complexité incroyable. Ces aspects sont bien sûr présents dans l’ouvrage, mais on sent que l’auteur a aussi tenu à terminer avec l’humain. C’est souvent une critique que l’on entend contre le cinéaste, que ses œuvres sont sophistiquées, mais désincarnées et Christopher Nolan, la possibilité d’un monde essaie de montrer que ce n’est jamais le cas. Dans Interstellar, par exemple tout est histoire d’humains qui sont liés y compris à travers un trou de ver. Des humains qui sont toujours liés à un lieu — Gotham dans la trilogie Batman en est un excellent exemple —, ou en quête d’un lieu — une planète pour remplacer la Terre dans Interstellar, les côtes britanniques dans Dunkerque — et l’essayiste revient ainsi à cette idée du monde, centrale dans toute l’œuvre du réalisateur.

À condition de s’intéresser d’assez près à l’œuvre de Christopher Nolan, et à condition d’avoir vu ses dix films sous peine de se faire spoiler toutes les intrigues importantes, Christopher Nolan, la possibilité d’un monde mérite indéniablement une lecture. L’essai n’est pas très long et il expose sa théorie avec pédagogie et en multipliant les exemples. Plutôt que de se reposer sur d’autres ouvrages ou même des interviews de son sujet, Timothée Gérardin pioche dans les films du réalisateur. Et après avoir lu cet ouvrage, on n’a qu’une envie : les revoir tous, avec cette analyse transversale en guise de grille de lecture.